Guillaume Faury patron d’Airbus: est-ce vraiment le bon choix ?

Rédigé le 08/10/2018

Challenges – Par Vincent Lamigeon le 08.10.2018

Comme avait révélé LeFigaro, le patron des avions commerciaux d’Airbus a été nommé successeur de Tom Enders ce lundi. Si l’ancien patron d’Airbus Helicopters, passé par PSA, affiche un profil industriel solide, il ne convainc pas tout le monde.

Guillaume Faury, patron des avions commerciaux d’Airbus, devrait succéder à Tom Enders à la tête de l’avionneur européen. Jérôme Deulin / Airbus

C’était le grand favori de la course. C’est le gagnant à l’arrivée. Révélé par le Figaro et le Wall Street Journal, le patron de la branche avions commerciaux d’Airbus, Guillaume Faury, 50 ans, a bien été nommé lundi 8 octobre successeur de Tom Enders à la tête du numéro deux mondial de l’aéronautique (67 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 129.000 salariés). L’ancien PDG d’Airbus Helicopters devrait prendre les rênes du groupe à l’issue de l’assemblée générale du groupe, prévue la 10 avril 2019.

Le conseil d’Airbus a-t-il fait le bon choix ? Il a en tout cas fait le moins risqué. Guillaume Faury, qui dirige la branche aviation commerciale (75% de l’activité du groupe) depuis février, est l’un des derniers rescapés de l’incroyable vague de départs qui a ravagé le comité exécutif depuis 18 mois. Depuis février 2017, le groupe avait ainsi vu partir le patron des avions commerciaux Fabrice Brégier, le directeur de la stratégie Marwan Lahoud, le directeur technique Paul Eremenko, le directeur commercial John Leahy puis son successeur Eric Schulz, le patron des bureaux d’études Charles Champion. Le directeur financier Harald Wilhelm va quitter le groupe début 2019. Deux autres historiques d’Airbus, le patron des programmes Didier Evrard et le directeur des opérations Tom Williams, sont aussi donnés partants ces prochains mois.

Message de stabilité

En nommant Guillaume Faury, un candidat interne rompu aux arcanes du groupe, le conseil envoie un message de stabilité à des équipes traumatisées par ces départs successifs. Le futur boss a l’avantage de bien connaître le groupe : diplômé de Polytechnique et de l’ENSAE (Ecole nationale supérieure de l’aéronautique et de l’espace), il avait débuté à la Direction générale de l’armement avant d’entrer chez Eurocopter, ancêtre d’Airbus Helicopters, en 1998. Il y avait grimpé tous les échelons : ingénieur en chef du programme EC225/725 (le Super Puma et sa version militaire Caracal), patron du commercial puis de la R&D. Après un passage de quatre ans dans l’automobile, comme directeur technique puis directeur R&D de PSA, il avait été rappelé par Tom Enders pour prendre la tête d’Airbus Hélicopters en 2013. Au départ de Fabrice Brégier, suite à son duel à mort avec Tom Enders, il avait pris la tête de la branche aviation commerciale d’Airbus en février dernier.

L’autre atout de Faury, abondamment souligné par ses soutiens, est son profil très industriel. Chez Airbus Helicopters, il a su gérer sans heurt la crise du secteur des hélicoptères, et installer de nouveaux processus industriels pour le tout nouveau H160. « Dans le contexte des difficultés de la montée en cadence de la production, c’est le meilleur choix », assurait récemment un proche. Tout le monde n’est pas convaincu pour autant. En interne, plusieurs cadres évoquent un boss doué, mais « incapable de déléguer ». « Depuis qu’il est arrivé aux avions, il fait du micromanagement, multiplie les réunions, gère des sujets qui ne sont pas de son niveau, assure un cadre. Il va devoir apprendre à prendre de la hauteur. »

« Un peu bleu »

L’ancien responsable de l’intelligence économique à Matignon et ex- directeur du renseignement de la DGSE Alain Juillet, fin connaisseur d’Airbus, résumait les doutes de certains dans une interview à Challenges en janvier dernier. Guillaume Faury ? « C’est un très bon, indéniablement, qui connaît bien la maison et a fait du bon travail chez Airbus Helicopters, assurait Alain Juillet. La question est de savoir s’il n’est pas un peu « bleu ». Enders et Brégier étaient deux fauves : Faury a un profil beaucoup plus discret et réservé. »

D’autres soulignent que Faury a avant tout été « le lauréat d’un concours de circonstances », selon l’expression vacharde d’un ancien d’Airbus interrogé par Challenges fin septembre. De fait, l’ancien patron d’Airbus Helicopters a vu les têtes des principaux favoris tomber les unes après les autres : Marwan Lahoud, Fabrice Brégier, et dernièrement celle du directeur financier Harald Wilhelm, en partance début 2019. Quant au patron allemand de la division défense et espace, Dirk Hoke, il était jugé trop juste, et Berlin avait accepté le principe d’une alternance qui faisait revenir le poste de patron d’Airbus à un Français.

Beaucoup voyaient donc dans le patron de Thales Patrice Caine, seul nom véritablement ronflant évoqué en externe, une alternative crédible : à 48 ans, ce X-Mines était déjà patron d’un grand groupe coté, rompu aux technologies du digital, et renforcé par de très bons résultats et une OPA en cours sur Gemalto. Mais un transfert se heurtait à plusieurs obstacles : selon un familier du dossier, Patrice Caine a fait savoir à plusieurs reprises qu’il n’était pas candidat au poste. Un départ de Thales aurait aussi pu menacer le pacte d’actionnaires entre l’Etat et Dassault au sein de ce fleuron français actuellement en pleine santé.

Reconstruire un comex

Vainqueur d’une course dont les principaux favoris étaient exclus, Guillaume Faury hérite d’un plan de vol chargé. Première priorité : tenir l’objectif de 800 livraisons d’avions commerciaux cette année, un défi vu les difficultés des motoristes et d’Airbus lui-même à tenir les cadences prévues. Deuxième défi : ramener de la sérénité dans un groupe traumatisé par les enquêtes du SFO britannique et du parquet national financier français autour de soupçons de corruption. Autre challenge, constituer un comité exécutif rajeuni et uni, après la vague de départs au sein de l’état-major : Guillaume Faury devra notamment trouver un directeur financier apte à succéder à un Harald Wilhelm très apprécié des marchés, et trouver des successeurs aux piliers Tom Williams et Didier Evrard dans la branche avions commerciaux.

Un autre chantier sera de clarifier la politique commerciale du groupe : faut-il lancer un A321 XLR, une version à très long rayon d’action du moyen-courrier A321, pour devancer l’arrivée sur le marché du futur NMA (New Midsize Airplane) de Boeing ? Comment relancer les ventes poussives des long-courriers A330neo et A350 face à un Boeing ultra-agressif ? Le dernier challenge est plus personnel : « Faury va devoir s’imposer, non plus comme un super patron d’usine, mais comme le patron du groupe, avec la dimension stratégique et politique de ce poste », relève un observateur. C’est aussi à cette aune que sera jugé le futur patron d’Airbus.