Les défis de Guillaume Faury, nouveau patron d’Airbus

Rédigé le 10/04/2019

l’USINE NOUVELLE – Olivier James et Hassan Meddah – Publié le 09/04/2019 À 19H00, mis à jour le 10/04/2019 À 17H16

Guillaume Faury succède ce 10 avril à Tom Enders à la tête du groupe aéronautique européen. La nouvelle équipe dirigeante doit propulser Airbus vers de nouveaux horizons.

Ce 10 avril, à l’issue de l’assemblée générale du groupe à Amsterdam, Tom Enders [à droite] cèdera sa place de président exécutif à Guillaume Faury [à gauche]. © Airbus

Nouvelle ère pour le géant des airs. Alors qu’Airbus fête en 2019 ses 50 ans, c’est toute une nouvelle génération qui, en deux ans, s’est emparée des plus hauts postes de direction de l’avionneur européen. Un renouvellement qui atteint le 10 avril son point culminant. Guillaume Faury prend ce jour là les rênes du groupe en tant que président exécutif, remplaçant le charismatique Tom Enders qui aura régné deux mandats durant. Après les années 2000, qui ont vu se construire le groupe EADS – parfois dans la douleur –, puis les années 2010, marquées par le processus d’intégration parachevé par Tom Enders et une mise à distance des États actionnaires, le nouveau dirigeant aborde les années 2020 avec l’objectif d’emmener Airbus sur le terrain de l’efficacité, de la productivité.

Guillaume Faury parviendra-t-il à hisser la rentabilité du groupe à 10 %, comme Tom Enders s’y était engagé ? Évoluant ces dernières années entre 5 et 7 %, elle reste bien en deçà de celles, à deux chiffres, du géant Boeing et de groupes tels Thales et Safran. « Entre 2012 et 2019, le cours de Bourse est passé de 30 à 120 euros. Tom Enders a rendu le groupe bien plus fort qu’il ne l’était auparavant « , tempère Marwan Lahoud, ex-directeur de la stratégie d’Airbus Guillaume Faury va devoir l’emmener encore plus haut, et ce dans les trois grands domaines d’activité du groupe.

Civil : crever le plafond des livraisons

Produire, produire, produire, dans les délais et au niveau de qualité requis. C’est le défi industriel numéro un de Guillaume Faury, dans la mesure où la branche dédiée aux avions commerciaux représente les trois quarts du chiffre d’affaires du groupe. Après avoir livré 800 appareils en 2018, le groupe s’est fixé pour objectif d’en livrer entre 880 et 890 en 2019. Et Guillaume Faury devrait être le dirigeant qui permettra à Airbus de passer le cap de 1 000 avions produits par an. Une dynamique insufflée essentiellement par la famille de monocouloirs A 320, dont la cadence sera portée à 60 par mois dans le courant de l’année, puis à 63 en 2021. Le dirigeant aura sans doute à mettre en œuvre la cadence 70 évoquée par son prédécesseur, en veillant à ce que les motoristes et les sous-traitants parviennent à lui emboîter le pas. Et si le succès commercial de l’A 350 ne se dément pas, faisant monter la cadence à 10 appareils par mois, reste à assurer le décollage des ventes de l’A 220, l’ex-CSeries de Bombardier, qui atteignaient fin février 536 exemplaires.

Pour augmenter les cadences, Guillaume Faury pourra s’appuyer sur son expérience chez PSA de 2009 à 2013. La digitalisation de la chaîne d’assemblage d’hélicoptères légers qu’il a mise en œuvre à Marignane prouve sa sensibilité sur le sujet. Il s’inscrit en cela comme l’héritier de Tom Enders, qui a impulsé la numérisation du groupe et s’est efforcé de diffuser la culture digitale. Nul doute qu’il suivra de près le déploiement de la plate-forme 3DExperience de Dassault Systèmes, que le groupe a décidé d’utiliser depuis le début 2019 pour l’ensemble de ses activités. En jeu, la réduction d’au moins 30 % des temps de développement et des coûts de production.

Défense : revenir au cœur du jeu

Après l’échec de la fusion avec le britannique BAE Systems en 2012, le groupe a abandonné son ambition d’être un leader mondial dans ce domaine, capable de concurrencer les groupes américains comme Boeing et Lockheed Martin. « On craignait outre-Rhin que ce rapprochement ne fasse perdre des emplois dans le secteur de la défense, explique Jean Botti, ancien directeur de la technologie du groupe. Ce rapprochement aurait permis d’équilibrer le chiffre d’affaires d’Airbus à 50-50 entre le civil et le militaire, comme l’avait fixé Louis Gallois [coprésident puis président exécutif d’EADS, devenu Airbus Group, de 2006 à 2012, ndlr]. » Aujourd’hui, la branche défense et spatial ne pèse que 17 % du chiffre d’affaires.

Le groupe a misé depuis sur une stratégie de multispécialistes présent dans les avions militaires (A­400M, avions ravitailleurs, Eurofighter…), les drones, les systèmes de communications sécurisées, la cybersécurité… Guillaume Faury devra s’assurer que le cauchemar A 400M touche à sa fin. En février, le groupe a encore passé une nouvelle provision de 436 millions d’euros. D’où un coût total du programme de près de 30 milliards d’euros, soit 50 % de plus que les coûts initiaux.

Le nouveau patron pourra bénéficier des opportunités liées à une Europe de la défense en pleine éclosion. La Commission européenne a pour ambition de créer un fonds de plus de 13 milliards d’euros pour la période 2021-2027 afin de financer la R & D de technologies militaires. Airbus s’est positionné avec succès sur l’Eurodrone, un drone militaire conçu en partenariat avec Dassault Aviation et l’italien Leonardo. Surtout, Guillaume Faury peut remercier Tom Enders d’avoir réussi à décrocher la place de copilote du programme européen de système de combat aérien du futur (Scaf). L’un des programmes les plus structurants pour les industriels de l’armement dans les années qui viennent. Si Dassault Aviation est aux commandes, Airbus est bien placé pour apporter son expertise des systèmes qui seront en soutien de l’appareil (flottes de drones, liaisons terrestres et satellitaires…).

Spatial : bâtir un nouveau modèle

Guillaume Faury saura-t-il saisir l’opportunité du new space, qui bouscule les acteurs établis avec l’émergence de technologies de rupture (fusées réutilisables, minisatellites…) ? Tom Enders a mis le groupe sur les rails. « En 2015, lors de la visite du comex dans la Silicon Valley, Tom Enders s’est entretenu avec Elon Musk en tête-à-tête, assure Jean Botti. À l’issue de ce voyage, il avait déduit qu’il fallait vite réagir et se rapprocher de Safran. » ArianeGroup est né dans la foulée. Mais il est déjà sous pression : SpaceX, la société d’Elon Musk, casse les prix. L’arrivée de nouveaux acteurs comme Blue Origin, financé par le patron d’Amazon, Jeff Bezos, devrait intensifier la guerre commerciale. Fin 2018, le groupe européen a annoncé 2 300 suppressions de postes sur cinq ans. Guillaume Faury devra s’assurer qu’Ariane 6, le nouveau lanceur européen, dont le premier vol est prévu en 2020, sera compétitive en divisant ses coûts de fabrication de moitié.

Son groupe devra convaincre les pays de l’Agence spatiale européenne qui se réuniront en novembre à Séville, en Espagne, d’accélérer les investissements pour rester dans la course à l’innovation spatiale. En parallèle, le groupe a pris un ticket dans l’aventure OneWeb, la constellation qui ambitionne d’apporter des services internet sur toute la planète. Du jamais-vu. Airbus est à la fois actionnaire de OneWeb et fournisseur des minisatellites à travers sa société commune avec… OneWeb. Après la mise en orbite des six premiers satellites, il peut se féliciter que l’opérateur ait levé en mars plus de 1 milliard de dollars pour poursuivre l’aventure. Mais le modèle économique de cette approche productiviste reste à viabiliser…