Le Boeing 737 MAX, l’avion qu’Airbus a poussé à faire

Rédigé le 18/03/2019

LA TRIBUNE – Par Fabrice Gliszczynski  |  18/03/2019

(Crédits : Joshua Roberts)

Les autorités éthiopiennes ont indiqué que la lecture des boîtes noires de l’accident du 737 MAX 8 d’Ethiopian Airlines le 10 mars montrait des similitudes avec celui de Lion Air en octobre. Le système anti-décrochage de l’avion et sa certification sont dans le viseur. La Chambre des représentants envisage d’ouvrir une enquête sur la certification de l’avion.

Boeing est dans l’oeil du cyclone. Selon la ministre éthiopienne des Transports, Dagmawit Moges,les données des boîtes noires du 737 MAX 8 qui s’est écrasé le 10 mars en Ethiopie, faisant 157 victimes, ont mis en évidence des « similarités claires » avec le crash en octobre d’un appareil du même type de Lion Air au large de l’Indonésie. Les autorités éthiopiennes disposent désormais des données des deux boîtes noires. L’une enregistre les sons dans le cockpit, l’autre tous les paramètres du vol. Dimanche, toutes ces données ont été téléchargées par le Bureau d’enquêtes et d’analyses (BEA) français puis « remises à l’équipe d’enquête éthiopienne ».

  1. Montée et descentes irrégulières pendant la phase de montée

Ces similarités n’ont pas été précisées par la ministre. Depuis le crash, de nombreux experts et de nombreux pays ont mis en lumière des circonstances similaires entre les deux accidents. Dans les deux cas, les deux avions flambants neufs se sont écrasés peu après le décollage après avoir connu des montées et des descentes irrégulières lors de la phase de montée. L’enquête sur l’accident de Lion Air a pour le moment mis en cause un dysfonctionnement sur le système de stabilisation en vol destiné à éviter un décrochage de l’avion, le MCAS (Manoeuvering Characteristics Augmentation System).

  1. Le MCAS dans le viseur

Ce logiciel permet d’optimiser le profil de vol et (…) de maintenir l’avion dans une assiette » appropriée, c’est-à-dire une trajectoire sûre, a résumé Michel Merluzeau, expert aéronautique chez AirInsight à l’AFP. Il s’active lorsque l’angle d’attaque -ou degrés d’inclinaison de l’appareil- est un peu élevé et que le pilotage automatique est désactivé comme lors du décollage ou de l’atterrissage. A l’inverse, il se désactive quand l’angle d’attaque est suffisamment retombé ou si le pilote le déconnecte.

Ce système est nouveau sur la famille des moyens-courriers 737 MAX, version remotorisée du B737 NG lancé à la fin des années 90 avec un redesign complet de l’appareil par rapport aux premières versions du 737 lancées à partir du milieu des années 60. Pour faire évoluer ce dernier, l’avionneur américain a installé des moteurs plus puissants donc plus lourds, qui aurait pu engendrer un risque plus élevé de décrochages, selon un expert cité par l’AFP. D’où la mise en place du MCAS. Ce programme mesure l’angle d’attaque à l’aide d’une sonde (« Angle of attack »- AOA) et, pour éviter un décrochage de l’appareil, il met l’avion en « piqué ». Ce système est censé se déclencher en cas de sortie du domaine de vol, mais semble néanmoins se déclencher également quand l’avion est dans les limites du domaine de vol en raison de mauvaises données reçues. Selon un pilote, ceci peut venir d’un dysfonctionnement des sondes d’incidence qui envoient de mauvaises informations de vitesse et d’incidence au logiciel, ou par une défaillance du système de remontées des données.

Après l’accident de Lion Air, Boeing avait publié une consigne demandant aux pilotes confrontés à des problèmes d’incidence ou de vitesse de couper les « trim » pour reprendre l’avion en manuel et se poser le plus rapidement possible. Les « trims » font bouger le plan fixe horizontal de la gouverne », explique à La Tribune un pilote.

Ce dimanche,  le PDG de Boeing Dennis Muilenburg, a indiqué que l’avionneur était  sur le point de « finaliser » le développement d’un correctif du MCAS.

Selon des informations du Seattle Times dimanche, qui s’appuie sur des témoignages d’anciens et d’actuels ingénieurs de Boeing, la FAA aurait fait faire en 2015, à la hâte et de façon inappropriée, le processus de certification du MCAS. La FAA, autorité de régulation fédérale et réputée indépendante, aurait délégué une grande partie de la certification du 737 MAX et de son logiciel MCAS à des ingénieurs de Boeing lui-même. Le constructeur de Seattle était sous pression pour rattraper le retard accusé face à l’A320 Neo d’Airbus. Le régulateur américain a défendu dimanche auprès de l’AFP la validité de la certification du 737 MAX « qui a suivi la procédure classique ».

« Le 737 MAX a été certifié par l’Administration fédérale de l’aviation américaine (FAA) conformément aux exigences et processus qui régissent la certification de tous les avions construits par Boeing, nouveaux modèles et variantes. La FAA a examiné la configuration finale et les paramètres d’exploitation du système MCAS lors de la certification du Boeing 737 MAX, et conclu que ce système répondait à toutes les exigences réglementaires et de certification applicables ».

  1. Vers une enquête sur la certification du B 737 MAX

Selon certaines sources européennes, la manière dont ce système a été certifié (notamment le traitement des écarts qui avaient déjà été constatées sur ce système) a suscité également des interrogations en Europe après l’accident de Lion Air. C’est pourquoi la plupart des pays européens comme la France ont interdit leur espace aérien au B737 MAX alors que leur homologue américaine, la FAA, continuait à maintenir sa confiance dans l’appareil (celle-ci s’est ravisée depuis). Selon l’AFP, la commission des Transports et des Infrastructures de la Chambre des représentants envisage d’ouvrir une enquête sur la certification du 737 MAX. Selon le Wall Street Journal, le département américain des Transports (DOT) mène une enquête sur le processus d’approbation du MCAS par la Federal Administration Agency, (FAA), la direction de l’aviation civile américaine.

Pour autant, rien dans le calendrier ne permet de dire que Boeing a bâclé sa phase de développement pour rattraper l’A320 Neo. Cinq ans et demi se sont écoulés entre le lancement du programme fin 2011 et la mise en service de l’appareil, ce qui pour un appareil dérivé n’a rien de précipité. Le B737 MAX est entré en service 15 mois après l’A320 NEO, qui avait lancé 9 mois avant le B737 MAX, en décembre 2010. En revanche, Boeing a dû apporter plus de modifications sur le B737 MAX qu’Airbus sur l’A320 Neo. « Court sur pattes », le B737 ne pouvait recevoir sous ses ailes des moteurs plus gros pour augmenter le taux de dilution et la performance du moteur. D’ailleurs la nacelle des moteurs LEAP de CFM International (General Electric-Safran), du B737 MAX ont eu une forme différente à leur niveau inférieur que celle des moteurs pour l’A320 Neo. En outre, Boeing a placé es moteurs plus en avant sur la voilure par rapport au B737 classique.

  1. Airbus a dicté sa stratégie

Une chose est sûre en tout cas. Boeing n’avait initialement pas prévu de construire cet avion. Pour la première fois de son histoire, le géant américain s’est fait dicter sa stratégie par  un concurrent, Airbus et son A320 remotorisé NEO. Sans ce dernier le B737 MAX n’aurait pas vu le jour. Boeing a été poussé par Airbus à lancer cet avion.

En effet, quand Airbus a annoncé le lancement de l’A320 Neo en décembre 2010, Boeing envisageait plutôt de lancer un successeur au B737 utilisant un bon nombre des technologies du B787. Pour les dirigeants de Boeing, un tel avion aurait poussé Airbus à lancer lui aussi un nouvel avion sans avoir rentabilisé l’A320 Neo. Avec ce coup d’avance, Boeing pouvait espérer rafler une part de marché significative du segment stratégique des avions moyen-courriers, qui représente près de 70% des livraisons d’avions commerciaux du monde.

  1. La guerre éclair d’Airbus en 2011

Un scénario catastrophe pour Airbus. Pour l’éviter, l’avionneur devait engranger un grand nombre de contrats dans un temps record. C’est ce qui s’est produit. Les annonces de commandes astronomiques se sont succédées les unes après les autres au cours du premier semestre 2011. Notamment au salon du Bourget en juin 2011. Devant cette avalanche de contrats, Boeing s’est mis à douter. Quand American Airlines, l’un de ses clients historiques, a commencé à s’intéresser à l’A320 Neo, le groupe américain n’a plus eu le choix : le B737 sera remotorisé lui aussi. Fin août 2011, Boeing lance le B737 MAX, prévu pour 2017. A ce moment-là, 1.200 A320 Neo sont déjà au compteur d’Airbus. Une avance qui ne se résorbera pas. Au contraire. Aujourd’hui, elle s’est creusée de 300 exemplaires puisque l’320 Neo comptabilise 6.500 ventes contre plus de 5.000 pour le B737 MAX.