Le mouvement des gilets jaunes c’est l’échec de ceux qui n’écoutent pas les syndicats.

Rédigé le 28/11/2018

Yves Veyrier a succédé le 22 novembre à Pascal Pavageau, contraint de démissionner du secrétariat général de la troisième confédération française après des révélations sur un fichier occulte mi-octobre.

Le nouveau secrétaire général de Force ouvrière réclame la généralisation de la prime transport créée en 2008 pour les salariés contraints d’aller travailler en voiture. « Celles et ceux qui ne peuvent pas faire autrement que de prendre leur véhicule ne doivent pas être pénalisés », estime-t-il.

Vous arrivez à la tête de Force ouvrière en plein mouvement social, mais un mouvement social qui échappe aux syndicats. Comment l’expliquez-vous ?

La taxation des carburants est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase du mécontentement sur le pouvoir d’achat. Nous ne sommes pas surpris de la colère qu’a provoquée le mécano fiscal du gouvernement chez les salariés mais aussi les employeurs qui utilisent leur voiture pour aller au travail ou travailler. Le mouvement des « gilets jaunes », ce n’est pas l’échec des syndicats, c’est l’échec de ceux qui n’écoutent pas les syndicats. La question du pouvoir d’achat était au coeur de notre journée d’action du 9 octobre qui a mobilisé des centaines de milliers de salariés. On ne peut pas dire que nous n’ayons pas relayé le mécontentement et on ne peut pas dire qu’on n’a pas alerté l’exécutif. A force de ne pas tenir compte du rôle de la négociation collective et du dialogue social, ça enflamme la rue.

Emmanuel Macron prend la parole ce mardi. Qu’en attend Force ouvrière ?

Force ouvrière n’a pas attendu les «gilets jaunes» pour s’inquiéter des conséquences de la hausse du prix des carburants sur les salariés. En 2008, sur notre proposition, a été créée une prime transport pour aider financièrement les salariés contraints de faire plusieurs dizaines de kilomètres pour aller travailler. C’est une revendication que portait FO depuis 2005. Mais il y a eu très peu d’accords signés dans les entreprises.

Que préconisez-vous ?

Il faut une impulsion nationale pour généraliser la prime transport et pour cela une réunion tripartite au ministère du Travail entre l’Etat et les interlocuteurs sociaux. Il faut ensuite des négociations de branche pour en préciser les modalités pour que les entreprises qui versent la prime ne soient pas pénalisées en termes de compétitivité. A FO nous ne sommes pas des étatistes. Et puis il faut relever son plafonnement. Il a été fixé à 200 euros en 2008. Cela fait 10 ans. La généralisation de la prime transport peut être très rapide : pas besoin d’une loi, elle existe déjà. Et elle doit bien sûr aussi s’appliquer aux trois fonctions publiques. Il faut absolument un moratoire sur la hausse des taxes sur les carburants, a minima pendant la durée des négociations sur la prime transport.

Comment comptez-vous convaincre les entreprises ? Le patronat exclut toutes nouvelles charges sur les entreprises…

Qui peut croire que les entreprises vont pouvoir rester à l’écart de la pression sur le pouvoir d’achat longtemps ? La prime transport, c’est du grain à moudre pour la négociation. Pour que ça fonctionne, il faut que le patronat joue le jeu.

Ne craignez-vous pas que ce type d’aides freine la transition écologique ?

Il ne faut pas faire les choses à l’envers. Celles et ceux qui ne peuvent pas faire autrement que de prendre leur véhicule ne doivent pas être pénalisés. Il ne s’agit pas que des salariés, mais aussi des retraités qui doivent de plus en plus se déplacer. On ne peut pas faire payer les gens d’abord, et leur dire que les investissements suivront après, en fonction de la réduction des déficits. Il faut arrêter avec le dogme des déficits. L’impact de la disparition progressive des services publics de proximité dans les zones rurales est une catastrophe sur le plan écologique. Le mot d’ordre de tous les syndicats en Europe, et de FO en particulier, c’est d’avoir une transition juste socialement. Le pouvoir d’achat n’est pas opposé au développement durable et n’est pas l’ennemi du climat. Si Macron le reconnaît mardi en soutenant la généralisation de la prime transport, ce sera déjà beaucoup.

La CGT appelle à manifester le 1er décembre. Allez-vous vous associer à cette journée d’action ?

Nous n’en avons pas encore discuté en interne pour la bonne et simple raison que la CGT ne nous a pas sollicités. Cela dit, son appel est adressé aux citoyens et non aux seuls travailleurs. Cela nous pose problème car elle sort là du cadre syndical. Or c’est le seul dans lequel nous nous inscrivons, à Force ouvrière, car notre objectif n’est pas politique mais d’obtenir la satisfaction de nos revendications, à commencer par la généralisation de la prime transport.

Pensez-vous, comme Laurent Berger, que la négociation sur l’Assurance-chômage est un « piège » tendu par Emmanuel Macron ?

Nous avons dit depuis le début qu’on ne sent pas bien les choses car le cadrage fixé par le gouvernement est orienté sur les économies à trouver. Qui plus est, on s’interroge sur la capacité à trouver le chemin d’un accord avec les employeurs. Nous allons négocier et on va se bagarrer pour y parvenir, mais pas à n’importe quel prix. Nos lignes rouges sont claires : pas question de faire des économies sur le dos des chômeurs indemnisés.

Les règles d’indemnisation favorisent-elles l’emploi précaire, comme le prétend le gouvernement ?

On fait porter à un système dont la vocation d’origine était d’indemniser les chômeurs sur une courte durée la responsabilité d’une économie qui produit de la précarité et des bas salaires. Le régime d’assurance-chômage n’a pas été conçu pour un taux de chômage structurel de 10 % ! Et pourtant, force est de constater qu’il a rempli son office. Les partenaires sociaux ont pris leurs responsabilités.

Y compris avec une dette de l’Unédic qui atteint 35 milliards ?

Cela soulève la question du financement de Pôle emploi et des dépenses imposées au régime qui ne relèvent pas de l’assurance collective mais de la solidarité et de l’intérêt général.

Le patronat a mis sur la table un projet d’assurance-chômage à deux étages, un forfait financé par la CSG géré par l’Etat, un complément financé par les cotisations patronales, sous la responsabilité des partenaires sociaux. Qu’en pensez-vous ?

C’est le système beveridgien [qui a structuré le modèle social britannique d’après-guerre, NDLR]. Instituer un filet social a minima risque d’exonérer les employeurs de vouloir en faire beaucoup plus. Pour le moment on nous présente les choses de façon sympathique mais nous craignons qu’il ne reste que le minimum au nom de la compétitivité des entreprises dans le contexte de la mondialisation. Il faut conserver le système actuel en clarifiant qui doit financer quoi.

Croyez-vous qu’Emmanuel Macron va vraiment imposer un bonus-malus sur les emplois précaires ?

Le gouvernement s’est engagé à légiférer si les négociations de branches professionnelles n’aboutissent pas. On attend ! Aux employeurs de faire des propositions qui puissent recevoir notre approbation. Depuis des années on a vanté les réformes du Code du travail et la plus grande flexibilisation des conditions d’embauches en CDI, via le plafonnement des indemnités prud’homales notamment, et on continue d’embaucher en contrats courts ! Le risque, c’est que les salariés en viennent à préférer un CDD aux garanties renforcées à un CDI licenciable trop facilement. Là encore, le patronat ferait mieux de négocier vraiment.

Vous venez d’être élu secrétaire général de FO sans obtenir la majorité absolue des voix. Votre mandat ne va pas être de tout repos…

Mon prédécesseur a été élu secrétaire général de Force ouvrière en avril et au bout de moins de six mois il a dû démissionner. Nous pouvons être fiers d’avoir été capables d’aller très vite sur sa succession comme sur le traitement de questions financières soulevées pendant la crise pour rétablir la parole de FO. Nous avons réussi à surmonter cette crise majeure très rapidement là où d’autres ont mis des mois. Qu’aurait changé le fait d’avoir un seul candidat sur l’état des forces en interne ? Rien. Nous sommes allés au bout du processus électif. Mon boulot maintenant, c’est de rassembler l’organisation que je ne pense d’ailleurs pas aussi divisée qu’il n’y paraît. Dans une élection, celui qui gagne est plus satisfait que celui qui perd, c’est de l’ordre de l’humain, mais ce sont de petites plaies qui vont guérir rapidement.

Vous avez été élu avec le soutien des réformistes de FO. C’est leur victoire ?

Les réformistes ont forcément gagné car à Force ouvrière, nous sommes tous réformistes. La confédération a gagné, l’ensemble des militants a gagné, nous avons montré que nos statuts, notre mode de fonctionnement est efficace et moderne.

La gestion financière de la confédération a été montrée du doigt. Vous avez annoncé sa remise à plat. Quand sera-t-elle effective ? Allez-vous supprimer la prime attribuée par Pascal Pavageau aux membres du bureau confédéral ?

Cette prime a été supprimée. Concernant plus globalement la gestion financière, un premier rapport a déjà été fait au Comité confédéral national de Force ouvrière [son « parlement », NDLR]. Nous avons lancé le chantier. Mais que l’on soit clair, il n’y a eu aucunes malversations financières, tout a été contrôlé par nos commissaires aux comptes. Ce dont il est question, ce sont des choix politiques qui sous-tendent l’affectation de nos ressources sur tel type de formation ou sur tel secteur professionnel ou département. Nous allons faire en sorte qu’ils soient mieux connus et plus soutenus par l’ensemble de l’organisation que jusqu’à présent. Et j’espère qu’à l’issue de mes mandats, nous pourrons afficher une forte progression de nos recettes de cotisation. Le développement des adhésions à Force ouvrière sera une de mes priorités.

Vous avez parlé de vos mandats au pluriel. Vous n’en ferez donc pas qu’un comme c’était envisagé au départ ?

Le mandat de transition, c’est du passé. Il en a été question quand il s’agissait de trouver un candidat de compromis. J’avais alors proposé mes services. Mais nous n’avons pas réussi à nous mettre d’accord. Ce que je peux vous dire c’est que dans 10 ans je ne serai plus là. Mais entre maintenant et 10 ans, il y a de la marge. Je resterai le temps nécessaire non pas à rétablir l’organisation – c’est déjà fait – mais à préparer l’avenir.